J’ai avorté 3 fois dans ma vie. Je dois faire partie de celles que certains désigneraient comme prenant l’avortement pour une contraception. Cette idée quand elle ne me met pas en colère me fait marrer : non mais est-ce qu’ils s’imaginent vraiment qu’en 20 ans de vie sexuelle je n’ai baisé que 4 fois en comptant mon môme ?
La première fois j’avais 17 ans. Quand je m’en suis aperçue, j’ai été au planning familial, la personne qui m’a reçue, une femme assez douce, m’a expliqué qu’il fallait l’autorisation de mes parents pour pouvoir avorter. C’est cette annonce qui a été le plus dur, j’ai trainé… mais je n’ai pas hésité un instant sur la décision à prendre. Je ne voulais pas être mère à 17 ans point.
La deuxième fois j’avais 27 ans. Suite à l’obtention d’un concours de la fonction publique, entre la prise de poste et le déménagement 15 jours avant, utilisant toujours une pilule comme contraception, une période agitée a suffi certainement à ce que je merde dans la prise sans m’en rendre compte. J’avais déjà un enfant avec mon compagnon de l’époque, nous étions ensemble depuis quasi 10 ans. lui n’avait pas de désir d’un autre enfant, et moi, plus vraiment, et surtout ce n’était pas le moment, l’envie n’était pas là.
J’ai pris rendez-vous avec le planning après avoir été vue par un médecin généraliste. J’ai rencontré un femme, assistante sociale je crois, entretien obligatoire avant le délai de 7 jours de « réflexion ». Je me souviens avoir pleurer. Pas parce que j’avais peur, ni que je souffrais de cette décision, mais parce que je me sentais nulle et honteuse d’avoir merder ma contraception. L’avortement a eu lieu 10 jours plus tard, sous anesthésie générale. J’ai signé une décharge et je suis repartie chercher mon fils à l’école.
En fait, ce qui a été pénible, c’est que tout le temps où j’ai été enceinte, entre le moment de l’annonce et quelques temps après l’avortement, mon compagnon de l’époque ne m’a quasi pas adressé la parole, en dehors des phrases inévitables liées au quotidien. Il ne s’est occupé de rien,surtout pas de moi, je ne crois même pas qu’il ait su quel jour j’avais avorté. Je me dis après coup que si jamais j’avais eu des doutes sur ma décision, ce qui n’était pas le cas, il me les aurait enlevé direct!
Je l’ai quitté 2 ans plus tard ( je sais je suis lente ) et ai mené ma vie en ayant quelques histoires ou aventures avec d’autres hommes, ce qui m’a conduit il y a 6 ans à avorter à nouveau. Un bête accident de capote avec un mec que je voyais depuis 1 ou 2 mois de manière épisodique. Il était évident que j’allais avorter, je n’avais pas envie d’un enfant, et encore moins avec ce mec là que je connaissais à peine et avec qui je m’amusais bien au lit et ailleurs, mais sans plus. Finalement ce fut le même scénario, même clinique, et surtout même silence de la part du mec : il ne m’a pas rappelé, j’ai fini par le faire parce que j’avais besoin que quelqu’un vienne me chercher, ça m’évitait de signer une décharge comme la dernière fois, ainsi que le taxi. Il a dit oui, mais il est jamais venu.
Ce qui m’a marqué, c’est le silence. Le silence de ces deux hommes oui, mais aussi le silence des soignants. Je n’ai pas vraiment subi de propos désagréable, pas vraiment de froideur non plus, juste une espèce d’économie de mots dans les échanges. l’échographiste, le médecin qui d’un coup n’ont plus rien à dire lorsque tu leur annonces que tu comptes avorter, le sourire qui s’efface et le visage qui devient grave. Le drame imposé.
Je me souviens par contre avec une certaine reconnaissance du médecin que j’ai rencontré au planning avant le troisième IVG. Elle n’était pas silencieuse, et on a pu parlé de contraception, longuement et sans jugement. Cette entrevue avec elle m’a libéré de l’espèce de tabou dans lequel j’étais à propos de la contraception. Le silence, je me le suis imposé longtemps, comme une sorte de fatalité, je méritais certainement puisque j’étais une inconsciente pas foutue de prendre une pilule correctement. A part elle, je n’ai pas de souvenir de médecin avec qui j’ai pu parler de contraception, que ce soit avec mes précédents avortements, à la maternité, les médecins généralistes ou les quelques gynecos que j’ai pu voir. Ca a toujours été : voilà une ordonnance pour 3 mois de pilule merci au revoir. C’est bien la seule qui m’ait offert un choix réel en me présentant ce qui existait, mais aussi en discutant avec moi pour convenir de ce qui serait le plus adapté à qui je suis et à ma vie.
Avoir été aussi longtemps dans le silence, peuplé d’évidence erronée qui ne mérite pas de mots et encore moins d’échange, ça fait un drôle de bilan. Je ne suis ni une idiote, ni une inconséquente. Mais ça a pu m’arriver, peu importe les raisons ou leurs absences. Et alors? Prendre un traitement sans faille pendant au moins 30 ans , elle est là la difficulté!
Ces avortements furent un soulagement à chaque fois.
Je les ai voulu, je ne les ai jamais regretté, et je vais très bien merci !
Ariane, avril 2011.
4 réponses sur « IVG : « Ce qui m’a marqué, c’est le silence ». »
Incroyable témoignage, merci.
Je n’ai jamais eu recours à l’IVG, mais depuis mon adolescence, à travers les discours de ma mère, de mon entourage, et du climat autour de l’IVG en général, je sentais assez clairement que si la situation s’était présentée, tous auraient fait en sorte (peut être involontairement, par mimétisme) que cet évènement soit un traumatisme pour moi. Je veux dire, même sous couvert de soutient, de prévenance, le message subliminal aurait été : « c’est ton devoir de femme que d’être désespérée et marquée à vie par cet évènement ô combien atroce. Il serait assez obscène que tu t’en remettes trop vite ou ais le culot de continuer ta vie tranquillement sans 10 ans de thérapie. »
L’absence d’investissement masculin que vous décrivez est aussi assez révélateur, c’est aussi souvent celui autour de la contraception. Beaucoup n’ont pas l’air de comprendre qu’une grossesse non désirée, ça se fait à deux, que les moyens contraceptifs sont tous loin d’être efficaces à 100%, et que le jour où enfin une contraception masculine arrivera sur le marché, il sera normal qu’ils s’y collent, ne serait-ce que vous partager les risques de cancer potentiels liés à une prise d’hormones quotidienne.
Je vous rejoins aussi pour ce qui concerne le personnel médical et les gynéco en particulier, mais pour ne pas m’étendre sur la condescendance, le paternalisme, les mauvaises prescriptions et la désinformation que j’ai pu observer dans ma vie (et j’en ai testé beaucoup des gynéco), un petit article sympathique
http://www.acontrario.net/2010/05/17/apres-les-breves-de-comptoir-les-breves-de-gyneco/
*pour partager
et pas mal d’autres fautes, je crains 🙂
Comme si un participe ou un infinitif fautif avait de l’importance devant le courage de raconter…
Nan parce que ce témoignage, moi je le trouve important. Je suis dans la période « avant » la décision et j’en peux plus des post traumatisants, culpabilisants, anxiogènes… Ca fait du bien de lire l’inverse aussi. Sans minimiser l’évènement, ni enjoliver ce témoignage explique les choses. Et ça aide vachement, donc merci !
« Ca a toujours été : voilà une ordonnance pour 3 mois de pilule merci au revoir. »
Mais voilà. C’est pour ça que je n’ose pas (c’est le mot) parler contraception avec le gynéco, parce que la première fois, j’étais jeune, pas expérimentée, quand j’ai parlé de l’implant qui venait de sortir, je me suis entendue répondre « ah non, n’importe quoi, pas de ça, vous êtes jeunes vous êtes capables de prendre une pilule tous les jours. » Du coup, pas le choix. On ne m’a jamais demandé « quelle contraception vous voulez ». Non.
Et c’est quand même incroyable.
Merci pour ce témoignage.