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IVG : « Il FALLAIT pleu­rer. L’institution nous OBLIGE à pleurer »

C’était il y a envi­ron 5 ans. J’avais 22 ans. Si je témoigne aujourd’hui c’est sur­tout pour dénon­cer les com­por­te­ments et le mépris dont j’ai été vic­time, qui plus est, com­por­te­ments qui ont failli me coû­ter la vie.

Je me suis retrou­vée enceinte. Bizar­re­ment, je l’avais pres­senti dès la pre­mière semaine. Un jour où je ne me sen­tais pas bien, je me suis dit « je ne suis pas seule »… Allez savoir pour­quoi ?
Bref un mois plus tard, j’ai fait un test et celui-ci s’est révé­lé posi­tif. J’en ai tout de suite fait part à mon ami. La déci­sion a été rapide à prendre : nous étions jeunes, en couple depuis peu, étu­diants, sans le sou.
Je suis donc allée très rapi­de­ment prendre un ren­dez-vous pour un avor­te­ment à l’hôpital. La liste d’attente était telle que j’ai eu un ren­dez-vous un mois plus tard, soit à 11 semaines de gros­sesse!

J’ai très mal vécu ce mois d’attente. Non que j’étais mal psy­cho­lo­gi­que­ment (bien que par­fois prise par des doutes…) mais sur­tout j’étais mal phy­si­que­ment : très fati­guée, à perdre du poids, des sai­gne­ments… (je n’étais pas sui­vi par une gyné­co : des mois d’attente pour les conven­tion­nés et sinon des tarifs exa­gé­rés !)

Bref, mon ami et moi nous sommes ren­dus au ren­dez-vous (c’était un 18 février : cette date m’a pro­fon­dé­ment mar­quée et tous les 18 février depuis, je me dis : « tiens, j’ai pas oublié quelque chose cette année »). Non qu’elle m’ait mar­quée parce que j’allais me faire avor­ter, mais cette date m’a mar­quée pour la suite.

Le gyné­co me reçoit (un homme, d’une cin­quan­taine d’années). Il nous a posé quelques ques­tions à mon ami et moi-même puis a mis manu mili­tari mon ami à la porte. Il était très mépri­sant (le gyné­co, pas mon ami !). Il m’a deman­dé de m’allonger et m’a fait l’examen (en cachant bien évi­dem­ment l’écran, comme si de voir un fœtus de la taille d’un ongle allait nous trau­ma­ti­ser). Je lui ai expli­qué que l’examen était dou­lou­reux (écho­gra­phie intra-vagi­nale) et que depuis un mois j’avais des petites pertes de sang (détail qui a son impor­tance, vous le com­pren­drez par la suite). Je me tor­dais de dou­leur, c’était comme si on me don­nait des coups de cou­teau dans le bas ventre. Il m’a rétor­qué « arrê­tez de gigo­ter sinon j’arrête l’examen et vous ren­trez chez vous ». J’ai pris sur moi (quand j’y repense je ne sais pas com­ment, j’avais tel­le­ment mal!). Et là il m’annonce: « je ne vois pas de fœtus, ou du moins celui-ci fait 6 mm (pour une gros­sesse de 11 semaines, c’est sur­pre­nant : je lui ai d’ailleurs fait la réflexion) : vous faites une fausse couche ». Là je lui demande si c’est pour ça que j’ai si mal et que je saigne, il me répond (ima­gi­nez le scé­na­rio : un homme, méde­cin (toute puis­sance) mépri­sant, auto­ri­taire, anti­pa­thique face à une gamine apeu­rée) : « vous croyez quoi ? qu’une fausse couche est une par­tie de jambe en l’air ! fal­lait y pen­ser avant made­moi­selle ». Sur ces belles paroles, il me demande de me rha­biller et me met à la porte.
Mon ami m’attendait dehors. Je lui explique. Là, nous sommes reçus par une psy­cho­logue qui nous tend des mou­choirs (j’avais envie de pleu­rer, oui, mais pas parce que avor­ter c’est dur, parce que j’avais HORRIBLEMENT mal dans le bas ventre depuis l’examen). Elle nous explique que du fait de notre situa­tion (fausse couche) c’était moins dif­fi­cile, puisque le bébé n’était pas ame­né à vivre de toute manière (une petite dose de culpa­bi­lité!!!) Nous la regar­dions, un peu atter­rés, je dois vous avouer… d’un air de dire : qu’est ce qu’on fout là ?? Vrai­ment je me suis posé la ques­tion. C’était tel­lement hors de nos pré­oc­cu­pa­tions. Il FALLAIT pleu­rer. L’institution nous OBLIGE à pleu­rer.

On rentre. Je ne me sou­viens plus vrai­ment de la jour­née, seule­ment de la nuit car c’est la pire que j’aie pas­sée jusqu’à aujourd’hui. C’est simple j’ai déli­ré, j’ai eu des accès de fièvre, j’avais mal au ventre, comme si on me tor­dait de l’intérieur tous mes organes et par­ti­cu­liè­re­ment mes ovaires. Heu­reu­se­ment mon ami était là. Il m’a obli­gée à appe­ler ma mère le len­de­main pour qu’elle m’emmène aux urgences. Moi je ne vou­lais pas, puisque « c’était nor­mal d’avoir mal, je fai­sais une fausse couche ». Il a insis­té, il ne vou­lait pas par­tir tra­vailler tant que je n’appelais pas ma mère (vous pou­vez vous dire, pour­quoi ne l’a‑t-il pas emme­né lui même : sa direc­trice atten­dait un faux pas de sa part pour le foutre à la porte). J’ai capi­tulé et appe­lé ma mère. Elle m’a emme­née aux urgences gyné­co­lo­giques.
J’ai été reçu par un jeune méde­cin, beau­coup plus sym­pa­thique et empa­thique que son trou du c… de col­lègue. Je lui explique ma situa­tion. Il m’ausculte en pre­nant soin de ne pas me faire mal (OUFFFF). Et là, il me semble assez sur­pris, il me pose pas mal de ques­tions quant à l’examen de la veille. Je lui demande ce qu’il y a. Et là, il m’explique qu’il sem­ble­rait que je fasse une gros­sesse extra-uté­rine, que mon œuf est tel­lement gros, qu’au départ, il l’a pris pour mon uté­rus et que visi­ble­ment, le méde­cin d’hier a confon­du mon uté­rus et mon œuf, alors même que je lui avais fait part de tous les symp­tômes de la gros­sesse extra-uté­rine : maux de ventre, sai­gne­ment!

J’ai été opé­rée en urgence et j’ai per­du une trompe.

Si mon ami n’avait pas autant insis­té pour que j’aille aux urgences et si j’avais écou­té ce trou du c… d’incompétent j’aurai pu perdre bien plus qu’une trompe et faire une hémor­ra­gie interne.

J’ai enta­mé une pro­cé­dure après ça mais ils ont inter­prété mon cour­rier dans le sens que ça les arran­geait… J’ai lais­sé tom­ber, j’en avais pas la force à ce moment, j’avais envie d’oublier toute cette his­toire. Aujourd’hui je le regrette. L’avortement est le seul acte pour lequel les méde­cins signent une clause de conscience (quelle conne­rie ! c’est scan­da­leux). Ce méde­cin m’a mal­traité et a mis ma vie en dan­ger. Pour­quoi ? Pour­quoi ? Parce que je me fai­sais avor­ter sans l’ombre d’un regret ? Parce que je ne pleu­rais pas ? Parce que je savais que cette déci­sion était la bonne ?

Je vais bien aujourd’hui, oui !! mais pas grâce à l’institution hos­pi­ta­lière qui nous méprise et nous juge ! Dans quel siècle vivons-nous ? Le droit de dis­po­ser de son corps est bien loin d’être acquis dans la tête de nom­breuses per­sonnes !

Peut-être que le jour où ce droit inalié­nable sera acquis dans les faits et dans les têtes, nous irons nous faire avor­ter en vivant bien cette expé­rience parce que per­sonne ne nous juge­ra et atten­dra de nous que nous pleu­rons. On res­pec­tera et com­pren­dra notre choix !

Lucie, 13 avril 2011.

4 réponses sur « IVG : « Il FALLAIT pleu­rer. L’institution nous OBLIGE à pleurer » »

Bra­vo pour votre témoi­gnage!
Il y a vrai­ment des méde­cins qui ne méritent pas de l’être!
J’au­rais été votre petit ami, j’au­rai été très ten­té de lui c*sser la figure…

Je pense que ça n’au­rait mal­heu­reu­se­ment pas ser­vi à grand chose, et que le petit ami n’a pas à être là pour ça. En tout cas on nous pousse à la culpa­bi­li­sa­tion, c’est on ne peut plus vrai ! Ça et la toute puis­sance / le « tout savoir » des méde­cins… J’en ai sou­pé aus­si pour ma part.

Mais quelle hor­reur que ce méde­cin sur lequel vous êtes tom­bé en pre­mier.
Je n’ar­rive pas à com­prendre que l’on puisse se per­mettre de négli­ger ain­si une patiente, pas­sant outre sa dou­leur et ses demandes, pour poser un diag­nos­tic en vitesse et pas­ser à autre chose ; à quel­qu’un d’autre plu­tôt !

Je pense qu’à votre place je serais retour­née voir ce méde­cin pour lui mettre mon poing dans les dents, ça lui aurait ser­vi de leçon et vous aurait défou­lée 🙂

J’ai vécu le même genre d’his­toire.
A l’ex­cep­tion que je n’ai pas res­sen­ti la gros­sesse.
Je suis allée aux urgences avec les même symp­tômes dou­leurs insup­por­tables et sai­gne­ments, je savais que c’é­tait une GEU.
Aux urgences on m’a ri au nez.
Au final on m’a dit qu’à une semaine près, c’é­tait empoi­son­ne­ment du sang. Et j’ai été opé­rée le len­de­main matin.
J’ai eu un sou­tien psy­cho­lo­gique alors que je me sen­tais très bien. Cela m’a fait dou­té, est ce que c’est cho­quant ? Est ce que je devrais être triste.

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