Aujourd’hui, sept femmes sont venues nous demander un coup de main, sept « délais dépassés », comme on les appelle. Elles veulent toutes avorter d’une grossesse dépassant le délai légal français de douze semaines. L’une d’entre elles se tortille sur sa chaise, mal à l’aise et un peu assommée. Elle a déjà eu des gosses, elle ne comprend pas comment elle a pu découvrir cette grossesse si tard. Elle a eu ses règles normalement. Peut-être étaient-elles un peu plus courtes, un peu plus légères… Elle se dit qu’elle aurait dû le sentir, le savoir. Elle prend la pilule, se rappelle de légers décalages dans ses prises, mais pas d’oubli. Elle ne comprend pas. Une autre pensait avoir « fait suffisamment attention » et se demande, inquiète, comment elle va pouvoir avorter à dix-huit semaines de grossesse. On rassure tout le monde et on attrape le classeur « Espagne » et celui des « Pays-Bas », pour leur parler du voyage que 5 000 femmes françaises font chaque année. On leur présente deux solutions : le Centro médico Aragon, la « clinica de siempre » – « plus de vingt ans d’expérience en interruption légale de la grossesse, vasectomie, ligature des trompes… » – qui pratique l’avortement jusqu’à vingt-deux semaines de grossesse ; et la « clinique de l’interruption de grossesse » de Het Vrelinghuis, à Utrecht. Aux Pays-Bas, l’intervention est gratuite pour les résidentes. Pour les Françaises, selon l’avancée de la grossesse et le prix du trajet, il faudra débourser entre 800 et 1 600 euros environ. Parfois plus. Bus, train, voiture, on propose différents modes de transport. « Vous serez accompagnée ? Vous avez de quoi payer ? Il vous reste deux ou trois jours pour réunir la somme… » On liste les médicaments qu’elles doivent emporter, on fait des photocopies : plan de la ville, transports en commun, hôtels. Elles empilent leurs papiers, l’air préoccupé. « En Espagne, ils demandent combien pour dix-sept semaines ? », « 780 euros. » « Et pour vingt semaines ? » « 1 200 euros. » « C’est dégueulasse, soupire une nana, il va falloir que je trouve une excuse pour emprunter du fric à mes parents. » On espère qu’elle ne sera pas obligée d’élever un môme qu’elle n’a pas voulu parce que, dix jours plus tôt, elle a dû remplacer la courroie de distribution de sa bagnole, et qu’elle n’a plus de fric de côté. Toutes vont finalement trouver une solution, cette fois-ci. Toutes vont réussir à trouver une excuse pour faire garder les mômes, s’absenter du boulot et réunir la somme demandée. Comme 5 000 femmes chaque année.
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Comme 5 000 femmes chaque année
paru dans CQFD n°92 (septembre 2011), rubrique Les entrailles de Mademoiselle, par Mademoiselle, illustré par Tanxxx
3 réponses sur « Comme 5 000 femmes chaque année »
5000+1 …
Le 26 décembre 2011, je vais avec ma mère chez mon gynéco pour des douleurs aux ovaires, absent, on se rabat donc sur la maternité. Ma mère m’avait dit de prendre en considération que ça pouvait être une grossesse, certes je n’avais pas eu mes dernières règles, mais ça faisait à peine 1 mois et demi que je venais de rompre avec mon compagnon et que lors du déménagement etc j’avais « zappé » la pilule ayant d’autres préoccupations en tête, je restais donc persuader que ce retard des règles venait de là et que je faisais peut être des kystes ovariens. C’était donc fortes de cette idées que je patientais en salle d’attente.
Enfin un interne Ivoirien de la maternité vient me chercher et m’emmène, accompagné de ma mère, en salle d’échographie.
Quelques secondes après le début de l’écho, une chape de plomb me tombait dessus, devant moi à l’écran, un bébé, sa petite tête, ses bras, ses petites mains qui bougeaient et l’interne de me dire » Oh quel beau bébé ! » . Moi la gorge serrée, incapable de parler, fixant l’écran et essayant de retenir mes sanglots et de calmer mes tremblements, ma mère à coté également sous le choc qui d’une voix balbutiante demande l’âge de grossesse. Après quelques rapide mesures il nous annonce 20 semaines, alors dans ma tête tout se met en branle pour calculer … 5 mois !
Il me demande si je veux connaitre le sexe du bébé, ne pouvant toujours rien dire, ma mère lui répond que non, ça ne vaut mieux pas. Je ne peux retenir mes sanglots plus longtemps et l’interne ne sachant plus trop comment réagir fini par nous laisser pour allé faire les papiers. Ma mère me prend alors la main et la sert fort, étouffant des sanglots et moi qui continuais de fixer l’écran éteint, les premières images de l’écho passant en boucle dans ma tête.
Et toutes ces questions ! pourquoi moi, pourquoi maintenant, pourquoi si tard, moi 24 ans, prenant la pilule depuis l’age de 12 ans, ayant perdu mon emploi 3 mois plus tôt, ayant enfin fini par quitter cet homme avec lequel j’étais devenue une esclave, pourquoi n’ai-je rien remarqué, senti, vu ? Je n’avais pris que 3 petits kilos que j’avais mis sur le compte de la mal bouffe et de l’arrêt du travail.
L’interne revient, il nous fait passer à l’accueil pour prendre les papiers, la secrétaire me programme un rendez-vous fin janvier pour un suivi de grossesse, puis je fini par cracher tout ce qui passait dans ma tête, ma situation etc, le fait que j’avais même perdu un des 3 kilos que j’avais pris ! Ma mère demande qu’est ce qu’on peut faire et la secrétaire ouvre un tiroir et sort une pochette contenant tout les renseignement du Centre Medical Arago.
Sur la route du retour à la maison, toujours en pleurs, je commence à ressentir le bébé bouger, comme si d’un coup, le fait de l’avoir vu, il s’était réveillé …
Le surlendemain, mon ventre est rond et fort remuant, ma poitrine est gonflée, je demande à ma mère d’appeler la clinique Arago pour prendre rendez-vous. On nous demande certaines mesures exactes du bébé, nous téléphonons alors à la maternité pour qu’ils nous les donnent et c’est difficilement qu’on fini par nous les donner. La clinique Arago nous dit que c’est limite et qu’il faut que je vienne le lendemain matin car la semaine suivante je serai hors délai, même pour l’Espagne…
Cela fait exactement 15 jours aujourd’hui que j’allais en Espagne et que je subissais un IVG à 20 semaines, dans cette clinique où aucunes émotions, aucuns sentiments ne transparaissaient et où des dizaines de femmes, moitié Espagnol, moitié Française venaient se faire avorter, comme une usine, où à midi on devait toute être partie pour que la clinique puisse fermer et que le personnel aille en pause déjeuner avant de recevoir une nouvelle fournée d’ange à faire partir l’après midi même …
5 mois pour évoluer
3 jours pour exister
Quelques minutes pour t’envoler…
IVG, je ne sais pas si je vais bien, mais je sais que c’était le moins pire des choix, merci.
Etant donne qu’il n’y ait eu aucune reaction encore, je tenais a le dire — ce recit, je l’ai trouve extremement emouvant.
Chapeau pour ton sang froid, au final.
Le viol est utilise depuis longtemps comme tactique de guerre et la violence contre les femmes pendant ou apres les conflits armes est signalee dans toutes les zones de guerre internationales ou non internationales.