Déremboursement de l’avortement : deux projets inquiétants en Suisse et en Russie.
Les femmes russes et suisses qui désirent avorter pourraient bien se retrouver face à une triple peine : morale, financière et physique. Déremboursement de l’avortement, condamnation morale violente des femmes avortant et pénalisation des plus pauvres, voilà quelques nouvelles en provenance des fronts suisse et russe.
Suisse : « Financer l’avortement est une affaire privée »…
En Suisse, la triple peine est ‑notamment- demandée par un parti politique, l’UDC (l’Union Démocratique du Centre). Ce parti de droite dure est, comme bien souvent, à la fois ultra conservateur socialement et ultra libéral économiquement. Une rapide consultation du site Internet du parti permet de s’apercevoir (sans grande surprise) que l’UDC mène de nombreuses croisades : contre l’avortement mais également contre tout ce qui semble de près ou de loin basané (et surtout musulman).
Concernant l’avortement, une figure de l’UDC semble émerger. Il s’agit du conseiller national Peter Föhn. Pour lui, l’avortement fait partie des « prestations inutiles du catalogue des prestations de base de l’assurance maladie obligatoire »: puisque « l’avortement n’est pas une maladie » (on est bien d’accord), il ne doit donc plus être pris en charge par l’assurance maladie.
Un souci « d’économies » ?
Pas vraiment, puisque Peter Föhn le reconnaît lui même : les « coûts relatifs aux interruptions de grossesse ne constituent qu’une part réduite du sinistre affectant les caisses » maladie. En réalité, c’est surtout parce que Monsieur Föhn « par conviction », « répugne à cofinancer l’avortement, cet acte inadmissible ». Pour lui donc, « ce sont tout particulièrement aussi des motifs éthiques qui importent. » (source)
En voilà une surprise. Regonflé à bloc par ces « motifs éthiques », notre conseiller national a donc lancé en janvier 2010 « en compagnie de personnes qui partagent les mêmes idées, l’initiative populaire Financer l’avortement est une affaire privée ».
Plus de 100 000 signatures recueillies.
Cette initiative populaire visant à radier l’IVG des prestations de l’assurance maladie de base a récolté plus de 100000 signatures, permettant ainsi de soumettre l’initiative à la « votation populaire » en vue d’une modification de la Constitution fédérale.
Ainsi, on pouvait lire le 30 août dernier, sous la plume d’Adrien Chevalley, pour le site Internet « Les Quotidiennes » :
La double culpabilisation de l’avortement, bientôt un vote par le peuple
L’initiative lancée par les milieux anti-avortement a formellement abouti. Sur 110586 signatures récoltées, 109597 ont été déclarées valables, peut-on lire aujourd’hui dans la «Feuille fédérale».
Une initiative qui risque d’inaugurer, si elle passe en votation, un avortement à deux vitesses. Seules les femmes pouvant se le permettre seront alors capables d’avorter. Le dessein des initiants est fort clair. Les coûts d’un avortement deviendront alors une forme de « pénalisation financière ». Ils espèrent que cette peine s’ajoute à la « pénalisation morale » de l’avortement.
Une bonne nouvelle toutefois, alors que les anti-IVG se préparent à fêter cette première victoire dans la rue, « les milieux alternatifs » suisses les attendraient « de pied ferme », selon « 360° », le « magazine suisse gay, lesbien, bi et trans ». Nous sommes de tout coeur avec ces « chaoten », « réputés pour leurs opérations coup de poing lors de rassemblements de l’UDC ». (source)
En Russie, on passe à la vitesse supérieure…
Pour la Russie, le chemin est déjà plus qu’entamé. Selon Jenia Otto, du journal « The Moscow News » :
« Depuis le début du mois de juin, avec la participation active de l’Église orthodoxe russe, le Douma discute des initiatives pour limiter le droit à l’avortement. La loi est attendue par le président Dmitri Medvedev, et devrait passer en seconde lecture début septembre. »
(Source)
Le discours sur les économies cache (mal) d’autres préoccupations.
L’idée principale avancée dans le projet russe, tout comme en Suisse, serait d’ordre économique… à première vue, et avec une vue courte.
Toujours selon Jenia Otto : « L’idée principale est d’obliger les femmes à payer pour avorter. En d’autres termes, c’est encore un moyen de réduire les dépenses publiques. Clairement, l’État ne se préoccupe ni de la santé des mères ni des droits des enfants et a trouvé une façon de s’affranchir, une fois de plus, de ses obligations sociales. »
Toutefois, le projet compte d’autres propositions de natures quelque peu différentes, comme par exemple celle consistant à ce que les femmes mariées présentent pour avorter une autorisation écrite de la part de leurs maris, ou, pour les mineures, de leurs parents ou tuteur légal.
Mais ce n’est pas tout. La torture morale ne s’arrête pas là.
Effrayer les femmes et personnaliser le foetus.
La nouvelle loi prévoit également des consultations obligatoires ayant pour but de dissuader les femmes d’avorter. Comment ? En essayant de les effrayer en mentant sur le déroulement d’un avortement. Nous connaissons le mécanisme en France, repris allègrement par les associations anti-IVG. Ce discours sera, en Russie, un discours d’État.
La nouvelle loi les obligera à des consultations psychologiques avant la procédure, afin qu’elles « se rendent compte qu’elles privent intentionnellement de vie l’enfant qui n’est pas encore né ». Les auteurs du document « Recommandations médicales pour les consultations pré-avortement » (déjà approuvé par le ministère de la Santé et du Développement social), employés par la fondation orthodoxe Andreï Pervozvanny, déclarent ouvertement que ces consultations « doivent viser à effrayer les femmes en exagérant les risques des complications post-avortement ». Ils reconnaissent toutefois que des mensonges aussi gros ne pourront avoir d’impact que sur les femmes qui n’ont encore jamais avorté. (Jenia Otto, du journal « The Moscow News », Source)
Histoire de compléter le tableau, « les auteurs des ces « recommandations » proposent de « personnaliser » l’embryon, afin que la femme, au mépris des preuves scientifiques, le considère comme un individu formé », nous rapporte Jennia Otto. Pour ce faire, on s’appuiera sur des brochures, des films, mais également le « visionnage d’échographies et l’écoute des battements du cœur du fœtus. »
Et tout cela est prévu sur un fond de violences, de précarité et de maintien dans l’ignorance, quant aux techniques de contraception, grâce notamment l’introduction « dans les écoles les « fondements de la culture orthodoxe » qui enseigne des valeurs patriarcales archaïques ».
La liberté des femmes n’a pas de prix ? Si, si.
Seuls bénéficiaires, les médecins du système parallèle qui émerge dès l’interdiction de l’IVG, comme c’est le cas en Pologne. Ainsi, selon une étude publiée dans la revue médicale anglaise Reproductive Health Matters, « lorsque la loi interdit l’avortement comme c’est le cas actuellement en Pologne, un secteur privé parallèle se met en place sans aucun contrôle de la qualité des soins, où des montants exigés par les médecins qui pratiquent ces avortements. » En Pologne, cela représenterait « 95 millions de dollars de revenus non déclarés et donc non taxés aux médecins qui pratiquent quelque 150 000 avortements par an ». (source)
Évidemment, le déremboursement de l’avortement et/ou son maintien dans l’illégalité n’a aucun effet « dissuasif ». Les femmes ne cessent pas d’avorter : elles continuent à le faire, dans des conditions plus ou moins dangereuses moralement et physiquement selon leurs revenus et le traitement qu’elles peuvent se payer.
2 réponses sur « IVG : Femmes, vous allez le payer cher… »
Bonjour,
Je suis suisse et je trouve l’initiative sur l’avortement proprement scandaleuse. Encore une idée rétrograde de l’Union des Castors. Mais je voulais quand même poser une question en forme d’affirmation : l’ivg n’est actuellement pas gratuit de facto en suisse dans le sens ou la franchise minimale par rapport à l’assurance maladie minimale est de 300 francs suisses et peut monter jusqu’à 2500 francs suisses. Donc pour être un peu plus claire, il me semble qu’une ivg en Suisse coûteras au moins 300 francs…
Sinon je trouve que ce site est une excellente initiative et j’apprécie le fait que vous posiez les bonnes questions!
Ou coûtera 10% de l’intervention si l’assurée a déjà dépassé sa franchise, mais est encore en dessous de la cote-part maximum… C’est là de la petite cuisine helvétique. Le problème n’est à mon avis pas là, mais dans le fait de vouloir retirer l’IVG du catalogue des prestations de base. Celui ou celle qui prend une franchise de 2500.- accepte le risque (au sens statistique du terme) de devoir sortir cet argent en cas de besoin.
Une chose à noter sur la Suisse (que je n’ai pas vu citée ici, peut-être est-ce cité dans une des sources, mais je ne les ai pas toutes lues) c’est que l’avortement n’a été officiellement dépénalisé sur le plan fédéral par référendum en 2002. Dans les faits, avant cela, il était possible d’avorter dans la plupart des cantons qui interprétaient la loi d’alors suffisamment librement, mais il fallait tout de même l’avis deux médecins et que le femme soit en « danger »…
Il y a donc à peine 10 ans. Les milieux ultra-conservateurs n’en sont pas encore remis.