Source: guardian.co.uk, 24 juin 2011
par Ed Pilkington à New York
Les associations de défense des droits des femmes disent que la criminalisation insidieuse des femmes enceintes constitue un nouveau front des guerres culturelles contre l’avortement.
Rennie Gibbs est accusée de meurtre, mais le crime qu’on l’accuse d’avoir commis n’est pas un meurtre ordinaire. Et pourtant, elle risque la prison à perpétuité dans le Mississippi à cause de la mort de l’enfant qu’elle portait.
Gibbs est devenue enceinte à l’âge de 15 ans, mais a perdu le bébé, mort-né, en décembre 2006 au bout de la 36° semaine de grossesse. Quand le parquet a découvert qu’elle était cocaïnomane – même si rien ne prouve que l’abus de drogue soit lié à la mort de son bébé – il l’a accusée du meurtre de son bébé « par mépris de la vie d’autrui » (Depraved-heart murder), ce qui est obligatoirement puni par une peine de prison à vie.
Gibbs est la première femme dans le Mississippi à être accusée de meurtre pour la perte de son bébé à naître. Mais son cas est loin d’être isolé. Partout aux Etats-Unis, de plus en plus de poursuites sont engagées pour faire des femmes enceintes des criminelles.
« Les femmes sont privées actuellement de leurs droits constitutionnels en tant que personnes, et soumises à des lois véritablement cruelles », dit Lynn Paltrow de l’organisation National Advocates for Pregnant Women (NAPW) (« Association nationale de défense des femmes enceintes »).
« C’est placer les femmes enceintes dans une classe différente d’êtres humains et leur enlever leurs droits ».
Bei Bei Shuai, 34 ans, a passé les trois derniers mois dans une cellule à Indianapolis après avoir été accusée d’avoir assassiné son enfant. Le 23 décembre, elle avait fait une tentative de suicide en avalant de la mort aux rats quand son ami l’avait quittée.
Shuai était transportée aux urgences et avait survécu, mais elle était enceinte de 33 semaines et son bébé, à qui elle avait donné naissance une semaine après sa tentative de suicide, et qu’elle avait appelé Angel, est mort quatre jours plus tard. En mars, Shuai était accusée de meurtre et de tentative de foeticide et elle est détenue depuis, sans possibilité de libération sous caution.
En Alabama, au moins 40 affaires ont été portées devant les tribunaux en vertu de la loi de l’état concernant la mise en danger d’un enfant en l’exposant à des produits toxiques. Adoptée en 2006, cette loi visait à protéger les enfants dont les parents préparent la méthamphétamine chez eux, mettant ainsi les enfants en danger d’inhaler des gaz toxiques.
Amanda Kimbrough fait partie des femmes qui se sont fait piéger quand la loi a été appliquée d’une toute autre façon. Au cours de sa grossesse, on avait diagnostiqué chez le foetus la trisomie 21 et les médecins avaient conseillé un avortement, ce que Kimbrough, étant contre l’avortement, avait refusé.
Le bébé était né prématurément après une césarienne en avril 2008 et était mort 19 minutes après la naissance.
Kimbrough était arrêtée chez elle et accusée d’avoir mis la vie en danger de l’enfant en l’ayant exposé à des produits toxiques au motif qu’elle avait pris de la drogue au cours de sa grossesse – une accusation qu’elle a toujours niée.
« Cela m’a bouleversée, vraiment » a déclaré Kimbrough » j’avais perdu un enfant et c’était déjà bien assez ».
Elle est actuellement en attente de la décision d’appel qu’elle a déposé auprès de la Cour Suprême de l’Alabama, qui, si elle perd, l’obligera à purger une peine de dix ans de prison.
« Je vis au jour le jour, et je continue à m’occuper de mes trois enfants », dit elle, « ils disent que je suis une criminelle, que puis-je répondre à ça? Je suis une bonne mère ».
Les associations de défense des droits des femmes disent que la criminalisation insidieuse des femmes enceintes constitue un nouveau front des guerres culturelles contre l’avortement, où les accusateurs conservateurs rognent sur les libertés gagnées de haute lutte en élargissant les lois de la protection des enfants au fœtus, et dans certains cas, au jour de la conception.
Dans le cas de Gibbs, les avocats ont expliqué devant la cour suprême du Mississippi que son inculpation est absurde. Selon la loi dans le Mississippi, c’est un crime de provoquer un avortement pour tout le monde sauf pour la mère.
« Ce n’est pas un crime pour la mère d’interrompre volontairement sa grossesse, comment est-ce que cela peut être un crime si cela n’a pas été fait volontairement, que ce soit en prenant des médicaments ou en fumant, ou autre », a déclaré devant la cour suprême de l’état Robert McDuff, un avocat qui défend les droits civils.
McDuff a expliqué au Guardian qu’il espérait que l’inculpation de Gibbs était un cas isolé.
« J’espère que ce n’est pas une tendance qui va se développer. Accuser une femme de meurtre à cause de son comportement au cours de sa grossesse, c’est du jamais vu et c’est particulièrement excessif ».
Il explique que les groupes anti-avortement cherchent à faire modifier la constitution du Mississippi en demandant l’organisation d’un referendum, ou d’un vote spécifique, pour élargir la définition de personne au fœtus dès la conception.
Quelque 70 organisations dans tout le pays se sont unies pour rassembler des témoignages, appelés « mémoires d’amicus curiae », en faveur de Gibbs, et qui s’élèvent contre le traitement qui lui est infligé de diverses façons.
L’un de ces témoignages dit que « traiter de meurtrière une femme qui a accouché d’un enfant mort-né ne fait qu’ajouter à ses souffrances ».
Un autre, venant d’un groupe de psychologues, déplore l’ignorance sur le phénomène de dépendance à l’origine de l’inculpation. Gibbs n’a pas pris de la cocaïne parce qu’elle « méprisait la vie d’autrui », ni pour « nuire au fœtus », mais pour satisfaire un besoin pressant psychologique et physique pour une substance particulière », explique le mémoire.
L’argument le plus convaincant, peut-être, qui a été avancé dans ces mémoires est que si ces inculpations étaient destinées à protéger le fœtus, ce serait alors complètement contre-productif: « poursuivre des femmes et des adolescentes pour avoir voulu mener une grossesse à terme malgré une dépendance aux drogues, c’est les pousser à interrompre des grossesses désirées pour éviter les sanctions. L’état ne peut pas avoir voulu cela quand il a voté cette loi ».
Paltrow considère que ce qui arrive à Gibbs n’est qu’un avant-goût de ce qui se passerait si le droit constitutionnel à l’avortement était un jour aboli.
« Dans le Mississippi, la loi sur les homicides constitue une nouvelle norme juridique qui rend les femmes responsables de l’issue de leur grossesse et les menace de prison à perpétuité pour meurtre ».
Erreur judiciaire
Au moins 38 des 50 états des Etats-Unis ont adopté des lois sur le fœticide, lois destinées à protéger les femmes enceintes et leurs enfants mort-nés d’attaques extérieures violentes — en général de la part de conjoints violents – mais qui se retournent de plus en plus contre les femmes à cause de procureurs félons.
La Caroline du sud est un des premiers états à adopter cette loi sur l’homicide du fœtus. L’association des « Défenseur-es des femmes enceintes » (Advocates for Pregnant Women) n’a trouvé qu’un seul cas où un homme de Caroline du sud qui avait agressé une femme enceinte avait été inculpé en vertu de cette loi, et dont la condamnation avait, en fin de compte, été annulée. Pour autant, l’association estime que jusqu’à 300 femmes ont été arrêtées pour leur comportement à risque durant leur grossesse.
Dans d’autres états les lois destinées à protéger les enfants contre les effets désastreux de la drogue ont pareillement été détournées de leur objectif pour sanctionner les femmes enceintes.
Ed Pilkington est le correspondant du Guardian à New York. Il a été rédacteur en chef pour les affaires intérieures et étrangères du journal, et est auteur de Beyond the Mother Country » (Au-delà de la Mère-Patrie »).
Traduction Zoé pour « Les filles des 343 salopes »
Une réponse sur « Indignation aux Etats-Unis: les femmes enceintes qui perdent leur bébé risquent d’être accusées de meurtre. »
Merci pour ces infos.
En espérant que les cercles Pro-Life français ne cherchent pas à exporter ce genre d’atrocité. Quand je vois les demandes de fichage récent réclamées par Xavier Bertrand et Thierry Mariani envers les plus pauvres, je me pose des questions si derrière, il n’y a pas une poussée faite par des Pro-Life pour après criminaliser les femmes.
Faut vraiment toujours faire de la veille pour éviter le pire…