Bientôt un mois que le blog « IVG, je vais bien merci ! » recueille des témoignages de femmes. Il y a en a déjà plus d’une centaine, de quoi être littéralement enthousiasmée ! Et émue… aussi.
J’ai lu des témoignages qui m’ont réellement touchés. J’aurais pu en écrire certains, utiliser exactement les mêmes mots pour décrire des situations identiques. J’ai été touchée de voir émerger des régularités : non, nous ne sommes pas toutes différentes, chacune reléguée et isolée dans notre tête, dans notre ventre. Oui, nous avons toutes emprunté des chemins similaires, entendu les mêmes phrases. Nous avons toutes compris qu’il ne fallait pas la ramener. Nous avons toutes justifié cette grossesse accidentelle, comme pour nous excuser d’avoir failli ; nous avons été obligée de souffrir, certaines l’acceptant comme une punition, d’autres se révoltant contre cette maltraitance médicale. Nous avons vécu des choses très proches, chacune isolée dans le silence, n’osant à peine en parler.
J’ai été touchée de constater que ces femmes venaient témoigner malgré la pression qui leur pèse sur les épaules : vouées à la maternité dans les médias et leurs familles, berçant du mioche depuis l’enfance, confrontées aux articles qui, année après année, décrivent l’avortement comme une atroce souffrance, elles sont pourtant venues affirmer leur choix, et dire « je vais bien, merci ! ».
Elles ont osé dire cela, elles ont osé parler de leur avortement sur un blog qui affiche des couleurs vives, gaies, et un ton différent de celui habituellement employé. Pas de petits bruits étouffés, de chuchotements et de mines déconfites. Ici, on sourit, on parle fort et on se permet de relever la tête. Cela ne va pas de soi.
Quand ce blog est né, on pouvait s’attendre à des réactions violentes d’anti-IVG. Mais ce qui est finalement le plus intéressant, ce sont les autres, ceux et celles qui sont « pour le droit à l’avortement… mais »… mais discrètement, pas sur un ton aussi « décomplexé », comme j’ai pu le lire sous la plume de quelques un.es.
Décomplexé ?

Mais qu’est-ce qu’un ton « décomplexé » ? Un complexe est un « sentiment d’infériorité qui génère une conduite timide, inhibée. » (Petit Larousse, 2003). Une conduite inhibée, serait celle d’un « Individu complexé, impuissant à agir, victime de diverses inhibitions. » (Trésor)
Oups ! Voilà donc ce qui choque : nous avons cessé d’être inhibées et complexées. Nous avons cessé de nous regarder les pieds, nous avons eu l’outrecuidance de parler et d’agir ! Et c’est vrai que c’est inquiétant lorsqu’il s’agit de femmes. Parce que les femmes, on ne sait jamais ce qu’elles font quand on ne les contrôle plus. Si ? Ah oui, pardon, on le sait : elles vivent leur vie. C’est là que ça devient grave. Gravissime, même.
Un blog aussi décomplexé sur l’avortement me gêne un peu car j’ai peur que certaines jeunes filles se disent que ce n’est rien et qu’elle se mettent à considérer l’avortement comme un moyen de contraception. Ce n’en est pas un. Ça ne doit pas en être un. (…) ça ne doit pas être pensé comme « Oups j’ai pas de capote. Bah tant pis, au pire j’avorterais ! ». Comme si c’était banal. Comme si toutes les femmes le faisaient au petit dej, entre 2 tartines.
Et j’ai juste dit que j’avais peur (juste peur, j’ai pas dit que ça allait être forcément le cas) qu’avec un blog pareil, les jeunes filles se mettent à penser comme ça. (extrait d’un commentaire sur RUE89)
C’est LA GRANDE PEUR des « je suis pour le droit à l’avortement MAIS » : que les femmes se mettent à faire N’IMPORTE QUOI si on cesse de faire planer une ombre inquiétante sur l’IVG (un commentateur sur RUE89 se rassure tout de même : « la majorité des femmes ne sont pas si « bêtes ». » OUF !).
Comme si la culpabilisation des femmes contenait le recours à l’avortement, jouant comme un garde fou. Comme si les femmes agissaient en fonction de cette peur, tels des petits animaux craintifs.
Mais les femmes ont toujours avorté, et avorteront toujours.
Elles avortaient même quand elles risquaient la prison ou la mort. Elles avorteront même si vous les humiliez, même si vous leur faites payer par la douleur, même si vous les culpabilisez, même si vous les forcez à retourner sur la table de cuisine d’une faiseuse d’anges…
C’est ce qui dérange les tenants de « pour le droit à l’avortement MAIS ». Pour eux, l’avortement, c’est mal et il faut tout faire pour l’éviter. Pour eux, si vous ne pensez pas que l’avortement est mal, si vous ne dites pas, n’écrivez pas « oui, c’est mal », c’est que vous pensez forcément que c’est « génial » et qu’il faut courir se faire avorter tous les mois, en riant. Vous « banalisez » l’avortement.
La banalisation
Bref, je suis contre la banalisation de l’avortement… Je milite pour sa prise en charge, son encadrement, son remboursement, l’accompagnement des femmes dans les meilleurs conditions, sans culpabilisation, mais sans banalisation non plus ! (extrait d’un commentaire sur RUE89)
Dire « j’ai avorté et je vais bien », banaliserait donc l’avortement. Dire « j’ai avorté et j’en souffre » serait en revanche un comportement normal, en adéquation avec ce que l’on attend d’une femme qui a avorté : qu’elle ne dise rien, ou qu’elle porte son choix comme une croix.
On attend donc des femmes qui ont avorté qu’elles se taisent, ou au mieux qu’elles se lamentent. Parce que l’avortement, c’est mal, et qu’elle sont coupables. De quoi ? D’avoir fauté.

Avoir fauté ne signifie plus « avoir eu des relations sexuelles hors mariage ». Cela ne signifie pas non plus « être tombée enceinte accidentellement et décider de poursuivre cette grossesse ».
Avoir fauté signifie « être tombée enceinte accidentellement et décider d’avorter ». Et comme les tenants de « pour le droit à l’avortement, mais » ont horreur de parler d’avortement, ils se concentrent alors sur la contraception.
La contraception, c’est un peu l’alpha et l’oméga de leurs discours.
Évidemment que la contraception est une question très importante. Mais l’avortement ne se résume pas à la question de la contraception. L’avortement, c’est la possibilité d’interrompre un processus biologique entamé, sur décision de la femme concernée. Point. Comme le dit Léa, sur le site « IVG, je vais bien merci ! » :
L’avortement « ce n’est pas une dérogation que l’on nous accorde, c’est un droit que l’on exerce. » (Léa)
Ce n’est pas une session de rattrapage pour mauvaises élèves, avec justificatifs et excuses à fournir. C’est un droit. Il est évidemment nécessaire que les femmes aient au mieux accès à la contraception, qu’elles puissent s’informer et être informées par des professionnels qui savent de quoi ils parlent 1. Cela signifie que les femmes doivent pouvoir choisir leurs contraceptifs, choisir d’en changer, choisir ce qui leur paraît le mieux adapté à leur vie, leur corps. 2. Ce qui est encore loin d’être le cas.

Mais à propos de contraception et d’avortement, les discours les plus courants consistent à asséner « qu’avec les moyens de contraception actuels », il faut presque le faire exprès pour « se retrouver enceinte accidentellement ».
Dans la bouche des femmes, il est particulièrement terrible d’entendre cela. Il y a des femmes persuadées qu’elles n’avorteront jamais, parce qu’elles contrôleront toujours parfaitement leur contraception. Que sur les 396 cycles qu’elles vont vivre de leur 17 à leur 50 ans, pas un ne donnera lieu à une grossesse non désirée, et qu’en conséquence, elles ne se retrouveront jamais à se demander « je le garde ou non ? ».
C’est pour les connes.
Moi aussi, je croyais ça. Petite prétentieuse que j’étais. Ce genre d’accident, dans ma tête, ce n’était que pour les imbéciles, les ignorantes, les connes, pour être claire.
Et pourtant, ça m’est arrivé, à moi. Je me suis « retrouvée enceinte », comme on dit.
« J’ai eu honte que ça m’arrive à moi, ingénieur de 23 ans. Quand j’écris ça je me rends compte du matraquage que l’on subit : non les grossesses indésirées n’arrivent pas qu’aux filles de 14 ans de milieux défavorisés ! ». Extrait du témoignage de Mathoo, sur le site « IVG, je vais bien, merci ! »
J’avais 17 ans, la loi Aubry permettant aux mineures d’avorter sans le consentement de leurs parents n’étaient pas encore passée. J’ai donc été obligée de leur en parler.
Ma mère était féministe. Mais elle a très mal pris la nouvelle. Pas question de me dire : « c’est un accident, ça arrive, on va trouver une solution, on s’est battus pour ça ! », non. J’ai eu le droit à une humiliation en règle : mais quelle abrutie faut-il être pour se retrouver enceinte avec les moyens de contraception actuels.
J’étais donc une abrutie. C’était la honte.
Mais il y a des tas de raisons pour que la contraception ne marche pas. Nous ne sommes pas des robots, et certaines d’entre nous ont moins le droit à l’erreur que d’autres. Si certaines galèrent des mois voire des années pour être enceintes, pour d’autres, il suffit de pas grand chose. Une interaction avec un médicament, une pilule vomie, un décalage dans la prise, un oubli, un préservatif qui glisse, une pilule du lendemain qui ne marche pas… Et PAF. Voilà. Parce que « C’est plus facile de devenir enceinte que l’inverse » :
Je ne vois pas pourquoi je devrais me justifier et expliquer pourquoi je suis tombée enceinte. Ne PAS tomber enceinte est difficile, pas l’inverse. C’est vivre et faire l’amour des années sans tomber enceinte l’exception, pas l’inverse.
Mon mec ne se pose pas la question non plus, et pourtant on était deux responsables, alors pourquoi tout le monde me demande pourquoi ou comment je suis tombée enceinte? (Que répondre: Un ange blanc? Un miracle? Du sperme dans l’eau de la piscine?? Mais non, j’ai fait l’amour, c’est dingue, tu connais d’autres moyens toi?) Extrait du témoignage de « C’est plus facile de devenir enceinte que l’inverse », sur le site « IVG, je vais bien, merci ! »« Ce qui était plus dur à supporter, c’était le regard supposé des gens bien pensant prônant l’auto-responsabilité : si l’on avorte, c’est qu’on a fait quelque chose de mal. On n’a pas fait attention, donc il faut bien en payer les conséquences. Ça, ce sentiment diffus qui ne s’exprimait pas en paroles autour de moi mais que je sentais présent, était dérangeant. » Extrait du témoignage de M., sur le site « IVG, je vais bien, merci ! »
D’un point de vue technique…

D’un point de vue technique, tout s’est très bien passé. J’ai avorté sous anesthésie générale, par aspiration. Après l’opération, je me suis réveillée dans une sorte de placard à balais, sombre. Mon lit était disposé en travers de ce réduit, à côté du lit d’une femme d’une trentaine d’années. Elle m’a tenu la main, je crois que j’étais effrayée parce que c’était ma première « opération ».
Je n’ai pas eu mal, enfin pas plus que ça. Comme des grosses règles. Je ne crois pas qu’on m’ait donné ne serait-ce qu’un peu de paracétamol. J’ai pris un truc en rentrant à la maison. J’ai juste eu un petit malaise à cause de l’anesthésie. Dans la chambre, mon père était assis à côté de moi. Il n’a pas dit grand chose, j’ai vraiment eu le sentiment qu’il me soutenait, sans rien dire. Il m’a accompagné partout, avec ma mère.
L’ambiance a été assez terrible, par contre. La salle d’attente était un bout de couloir, dans lequel on avait disposé quelques chaises marronnasses entre deux portes. Toutes les filles avaient les yeux baissés, personne n’a dit un mot.
L’anesthésiste était hautain et dédaigneux, la psychologue (l’entretien pré-IVG étant obligatoire) 3 ne m’a rien dit d’autre que « oui, c’est difficile ». Pauvre conne. Moi j’étais en larmes. Ce n’était pas des larmes de tristesse, mais des larmes de colère. J’étais en colère parce qu’on m’avait traitée comme une débile, depuis le début parce que je n’avais pas pu prendre ma décision seule, parce que j’avais été obligée d’en parler à mes parents. Parce que je n’avais pas pu assumer tout cela dignement, calmement. Parce que ça avait fait toute une histoire, que ça avait pris des allures de faute, de péché, de drame.
J’étais en colère contre le gynécologue, qui m’a parlé comme à une trépanée puis qui a fait entrer trois internes pour venir se faire la main sur moi, jeune femme de 17 ans, nue, les jambes dans les étriers ; en colère contre la psychologue, aveuglée par sa croyance, qui ne m’a pas permis de dire ma colère, et qui m’a fait passer pour une pauvre chose à l’instinct maternel blessé ; en colère contre le géniteur, qui est resté au chaud, loin des conflits, et qui n’a rien assumé ; et enfin, en colère contre ma mère, qui a eu honte de moi… enfin, c’est ce que j’ai longtemps pensé.
Au début, si j’étais en colère contre la manière dont on m’avait traitée, je me suis rapidement mise à regretter, à me sentir mal, malheureuse, à penser tout le temps à cette IVG. J’ai été une traumatisée de l’avortement. J’étais certaine que si je tombais à nouveau enceinte accidentellement, je le garderais. J’étais certaine que je ne voudrais plus jamais avorter.
Et puis un jour, plus rien. En quelques jours, plus rien. Plus de larmes en en parlant, plus de doutes, plus de tristesse.
Moi, je me sens coupable d’être enceinte et de ne pas vouloir le garder. Comme si j’étais lâche. Comme si, en avortant, je criais au monde entier mon irresponsabilité et mon incapacité à avoir une sexualité maîtrisée. Comme si je n’étais pas digne d’être aidée après avoir fait un faux pas.
Et puis j’ai dans la tête tous les discours : « une femme qui avorte ne s’en remet jamais vraiment », « c’est un terrible traumatisme », « une femme qui avorte est trop faible pour être mère un jour ». Ils sont forts, ces mots, mine de rien. Moi qui avais toujours pensé et dit que l’avortement est une chance pour grand nombre de femmes et de couples, qu’un enfant ça se désire, j’en étais à me laisser envahir par le doute : « et s’ils avaient raison ? et si je ne devais jamais m’en remettre? »
Le déclic vient d’un ami : sa mère a avorté longtemps avant de l’avoir et elle ne regrette pas, n’a jamais regretté, en a parlé avec ses enfants, et va bien, merci. Son récit dédramatise ma situation, je réussis enfin à penser à tout ça sereinement et à envoyer balader les doutes. Nous en parlons aussi beaucoup avec mon copain : nous parlons de nous, parents, dans le futur, quand nous serons mûrs pour ça. Nous avons besoin de temps. Tout s’éclaire enfin : ma décision est prise. Et c’est parti.
Extrait du témoignage de Momo, sur le site « IVG, je vais bien, merci ! »
Je n’ai pas eu la chance d’entendre une femme dont le « récit dédramatise ma situation ». Je n’ai pas eu ce « déclic » là, mais j’en ai eu un autre. Il a fallu que je découvre la sociologie, l’anthropologie et l’histoire, que je lise des auteures féministes pour démonter le mythe de l’instinct maternel, pour comprendre que la féminité et la masculinité n’avaient rien de « naturels », pas plus que la maternité, la reproduction, le « désir d’enfant »… ou l’avortement. C’est là que j’ai compris ce que signifiait « socialement construit ». J’ai compris qu’on pouvait ressentir très fort des choses qui ne sont en rien « naturelles ».
Un miroir déformant
J’ai compris que ce qui était socialement construit pouvait être déconstruit. J’ai compris que la maternité, l’enfance, la représentation de la vie, de son début, avaient varié dans le temps, que tout cela s’était construit historiquement, que tout cela n’était pas « naturel », mais était bien le fruit d’une construction socio-historique. Que l’avortement n’avait pas toujours été condamné, réprimé.
J’ai compris qu’il n’y avait rien d’automatique, d’obligatoire et que je n’étais pas obligée de vivre cet avortement comme un drame. Je me suis demandée pourquoi je le ressentais comme ça. Et là, j’ai arrêté d’avoir mal et honte. J’ai eu l’impression d’avoir découvert le pot aux roses.
J’ai éclaté de rire quand j’ai compris. Quel soulagement ! J’ai dit tout haut : je n’en voulais pas de cette grossesse ! J’ai bien fait d’avorter ! J’ai bien fait ! Jamais je n’avais voulu garder cette grossesse, jamais je n’avais eu de projet d’enfant avec le géniteur. Il était gentil, mais j’avais toujours su que ça ne durerait pas avec lui.
La colère ressentie pendant l’avortement est remontée. Non, je ne me sentais pas effondrée d’avoir avorté, j’étais en colère contre ceux qui m’avaient maltraités.
Comment avais-je pu oublier cela ? Comment avais-je pu étouffer cette colère pour finalement la retourner contre moi ?
Pourquoi vivais-je l’avortement comme une tragédie ? Certes, il y avait ces problèmes physiques, difficiles à supporter, mais si je n’avais pas intégré tous ces discours moralisateurs à propos de l’avortement qui est *forcément* vécu comme une tragédie, peut-être l’aurais-je vécu différemment. Vous parlez de prophétie auto-réalisatrice sur votre site, c’est tout à fait cela. Ces discours ont éveillé chez moi de la souffrance (…) Extrait du témoignage de M., sur le site « IVG, je vais bien, merci ! »
J’ai compris que cette maltraitance, ces discours sur l’avortement m’avaient isolée. Être en colère toute seule, ce n’est jamais facile. Je devais forcément me tromper. On me disait que j’avais mal agi, que j’avais fauté, et que l’avortement était dramatique psychologiquement. Tout était fait pour que je me sente mal, coupable, malheureuse. On écoute votre malheur quand vous avortez, pas votre colère d’être traitée comme de la merde. On vous tend un miroir déformant : vous vous y voyez comme une femme flasque, défaite, éparpillée sur le sol, brisée. Alors que vous essayez de lever le poing, on vous tend un mouchoir et on vous prédit les larmes.
On fait croire aux femmes que leurs choix, leur prise d’autonomie, leur liberté ne sont pas des preuves de force et de courage, mais des aveux de faiblesse, des actes qui vont engendrer de la souffrance ou des preuves d’immaturité ou de folie. Vous avez divorcé ? Vos serez malheureuse, seule, isolée, faible. Vous êtes sortie seule dans la rue la nuit ? Vous êtes inconsciente, vous cherchez les problèmes. Vous avez refusé d’avoir un enfant ? Vous êtes immature, vous allez souffrir et mourir seule dévorée par vos chats. Vous avez avorté ? Vous allez être marquée à vie.
J’étais donc très en colère, mais qui m’aurait écouté ? Et puis d’abord, quand on est en colère, c’est que quelque chose ne tourne pas rond, hein. Dans le fond, n’est-ce pas votre souffrance d’avoir avorté qui se traduit par cette colère ? N’avez-vous pas interprété le comportement des médecins ? Étaient-ils si désagréables ? Où avez-vous tout pris de travers PARCE QUE vous étiez malheureuse d’avorter ?
Quel aplomb faut-il à 17 ans pour dire : Mais merde ! Vous me traitez comme une coupable ! C’est vous le problème, pas moi.
Je me suis pourtant tournée et retournée, j’ai cherché des femmes en colère. Je n’en n’ai pas trouvé, à l’époque, avec mes petits moyens et mes petites lectures, dans le petit lycée de ma petite ville.
Et puis, il fallait garder le silence, ne pas en parler. Je devais vraiment avoir fait quelque chose d’atroce pour devoir me cacher. J’en ai parlé à une amie, qui m’a regardé comme la pire des merdes. Je me suis sentie en dessous de tout. Dix ans plus tard, elle est venue me voir affolée, parce qu’elle pensait être enceinte, et ne souhaitait pas le garder. Cela faisait dix ans que nous ne nous parlions plus. Je l’ai aidée quand même, sans lui dire « ah tu vois connasse, ça arrive à tout le monde ». Mais je l’ai pensé très fort.
Et puis j’ai pardonné. J’ai cherché un mot pour dire cela autrement. Mais c’est vraiment ça : j’ai pardonné. À ma mère, en tous cas. J’ai compris qu’elle avait été prise dans la même nasse que moi. Elle s’était sentie coupable de ne pas m’avoir protégée, d’avoir failli à son devoir de mère. Elle a dû se sentir extrêmement mal de me voir vivre ce qu’elle pensait être un affreux drame : l’avortement. Mais le drame, ça n’a pas été l’avortement mais bien la condamnation à vivre l’avortement comme un drame : on m’a fait perdre des années de ma vie à me sentir coupable, mal, honteuse et malheureuse. C’est ça qui attise toujours ma colère, bien vivace encore aujourd’hui, qui aiguise ma détermination.
Je suis émue de voir qu’il y a des femmes qui peuvent dire :
« J’ai 17 ans, je suis lycéenne et je ne regrette pas une seconde ma décision. » Lou.
« Je n’ai jamais regretté ce choix. Je sais que certaines personnes m’en ont voulu. Je n’en ai rien à foutre. J’ai conservé ma liberté, mon indépendance. » Vanillette .
Je suis ravie de lire :
« s’il y a une prochaine fois et que je tombe encore sur une personne comme cette sage-femme, je n’hésiterai plus à lui dire ce que je pense et à me défendre plus et lui dire : ÇA VA, JE VAIS BIEN, MERCI ! » Rosetta.
« aucun regret ni remords.… si, un seul, ne pas être retourné voir le premier gynéco pour lui coller mon poing dans la gueule ! » Clémentine.
Je suis fière de lire :
« Merci à vous d’avoir fait ce site, s’il avait existé il y a quelques mois il m’aurait beaucoup aidé j’en suis sûre. » Angélique.
« Merci à ce blog d’exister, c’est un poids qui me tombe des épaules » Moi aussi.
« merci pour ce blog, ça me permet de ne pas être désolée : non, je ne suis pas désolée ! » Lucie.
« Et merci, merci pour ce blog, parce que je comprend que je ne suis pas un monstre de ne pas avoir de peine à avoir avorté » Makous
Alors, oui… le blog a adopté une posture décomplexée. Certainement. C’est même le but : qu’une autre parole puisse émerger sur l’avortement. Que les femmes puissent engueuler les médecins qui les maltraitent, les copines qui les regardent de haut, et exercer leur droit sans baisser la tête.
Grâce à des femmes qui ont pris le temps d’écrire, de penser, de militer, de mettre les pieds dans le plat, je peux dire : j’ai avorté, et je vais très bien, merci ! Comme le dit une femme dans un témoignage : « je vais bien quand je vois qu’il y’a de l’espace pour les filles qui gueulent. »
Avorter a même été une des meilleures décisions que j’ai pu prendre, un des actes volontaires les plus importants pour moi : refuser un destin qui s’imposait à moi, prendre ma vie en main, me laisser le temps de faire des études, de devenir indépendante.
Si j’étais à nouveau face à une grossesse non désirée, là, actuellement, je ferais le même choix. J’avorterais. Mais cette fois-ci, je serais armée pour faire face à l’échographiste, le gynécologue, l’infirmière ou la copine hautaine. Je leur dirais très clairement : « Je vous emmerde ».
Mademoiselle.
Notes :
- sur la formation des médecins, voir l’ouvrage de Maud Gelly Avortement et contraception dans les études médicales. Une formation inadaptée. Paris, L’Harmattan, 2006, 244 p ↩
- Concernant les différentes contraceptions possibles, consulter le site http://www.choisirsacontraception.fr/ ↩
- Depuis la loi Aubry, l’entretien dit « pré-IVG » n’est plus obligatoire pour les femmes majeures. Il reste en revanche obligatoire pour les femmes mineures ↩
2 réponses sur « Décomplexées ! »
j’ai avorté il ya quelques années, en 2003 (je m’en souviens c’était un mois après le début de ma vie professionnelle). Tout s’est très bien passé, j’ai trouvé un médecin qui travaillait le samedi, qui m’a envoyé dans une clinique en banlieue parisienne qui m’a prise trois semaines plus tard. J’étais sous anesthésie générale, je suis ressortie sur mes pieds quelques heures plus tard. Franchement, je ne culpabilise pas, n’y pense jamais et ne me souviendrait pas de la date si cela ne coincidait pas avec mon premier job. Une fois la décision prise, elle est prise et je l’ai assumée. Presque 10 ans plus tard, j’ai un enfant voulu (avec le même homme) et pas une seule fois je n’ai repensé à tout ça, si ce n’est pour me dire que c’était une chance d’avoir pu avorter et que ce fut si facile. J’ai avorté, je vais très bien et faites surtout que ça continue pour toues les autres filles qui le souhaient: trouver des médecins qui agissent en tant que tel, des lieux qui vous acceuillent et surtout arrêtez de laisser les autres vous culpabiliser!!!! Moi je ne le crie pas sur les toits mais je le cache pas non plus. J’évite juste de le dire aux gens qui pensent que c’est un drame traumatisant (tout en se disant féministe), parce que ça ne l’est pas!
Quand j’ai avorté, j’avais la chance d’être majeure. J’avais un bébé, désiré, par contre je ne voulais pas d’un deuxième enfant et surtout pas du mec qui m’avait mise enceinte. Moins d’un an avant, j’avais été une sombre connasse : j’avais tenté de convaincre une amie de « le garder », au lieu de respecter son choix ; ça m’a permis de comprendre plein de choses, d’avorter à mon tour (même si bien sûr ce n’était pas le but).
Le souvenir qui m’est resté pénible, c’est ce type que j’entendais depuis ma chambre, qui traitait de tous les noms sa fille, sans doute trop éloignée d’un centre IVG pour avoir pu avorter sans rien lui demander.
Le souvenir qui ne m’est PAS resté pénible, c’est ce moment où j’ai récupéré l’œuf dans mes mains. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau : une petite bille dorée, consciente aurait-on dit. Toute la merde qu’on m’avait mis dans le crâne, c’est cette infirmière qui m’en a débarrassé d’un coup, avec tact même si ça ne m’a pas plu sur le moment. Elle est entrée pendant que je scotchais en pleurant sur cette vie qui n’éclorais pas, m’a dit gentiment « Oh ben alors, faut pas vous mettre dans des états pareils ! », m’a pris doucement la serviette en papier des mains et l’a balancée d’autorité à la poubelle.
Grâce à son geste, j’ai pu démystifier l’embryon ; sans projet d’enfant, ce n’est qu’un petit tas de cellules qui ne devrait pas avoir plus d’importance qu’une rognure d’ongle ou que n’importe quel déchet.
Tout ce que j’avais fait, c’était de choisir de ne pas transformer un accident embarrassant en projet à contre-cœur, de ne pas avoir aliéné mon avenir à cause d’une réticence sans fondement. En plus de l’avortement physique, elle m’a avorté d’une culpabilité embryonnaire qui aurait pu me pourrir la vie. Qu’elle en soit remerciée, cette infirmière anonyme de Besançon.