La canule, c’est le petit tube plastique qui est introduit dans l’utérus lors d’une IVG par aspiration.
Les témoignages de femmes qui ont avorté et qui vont bien continuent à arriver. Si beaucoup de ces témoignages nous disent l’indifférence ou la cruauté de certain-es soignant-es, de l’autre côté de la canule, il y a aussi des personnes qui ont envie de partager leurs pratiques et leurs réflexions.
Sean écrit ainsi :
J’ai avorté, et je vais bien, merci. Sauf que j’étais de l’autre côté de la canule, et que j’y retournerai bientôt.
Ce qui veut dire : je n’ai pas avorté moi-même, mais j’ai avorté d’autres femmes. Et je vais bien, merci. Pas de cauchemars, pas de culpabilité.
Seulement la question à chaque fois que je recevais une femme en consultation ou pour l’écho : est-ce que je me comporte bien ? Y at’il une seule bonne façon de se comporter quand on est le médecin qui reçoit une femme qui veut avorter ? Comment faire pour la laisser choisir de voir la grossesse sur l’écho si elle le veut, comment faire pour ne pas minimiser ses douleurs, comment savoir si elle souffre moralement ?
Cet acte est banal pour moi. Parce que j’y ai réfléchi avant de décider de pratiquer des «IVG» (c’est plus beau qu’avortement, non ? c’est moins connoté, y a moins d’affect, c’est plus technique…). La décision a été rapide : pourquoi obliger une femme à avoir un enfant, avec tout ce que cela implique, alors qu’on a les moyens de lui permettre de choisir si elle en veut vraiment un, et quand elle le veut. Il est banal également parce que c’est un petit acte chirurgical (ou médical) que les gynécos réalisent régulièrement, que ce soit pour des avortements, ou pour des fausses couches (qui sont, en fait, également des avortements, mais non choisis). Et d’un point de vue médical, c’est un acte majoritairement bénin : très peu de complications.
S’il est banal pour moi, il ne l’est pas forcément pour d’autres femmes. Notamment parce que ce n’est pas moi qui prends la décision, je n’apporte que le support technique. Notamment parce que je ne subis pas la pression sociale, ou la «prophétie». Notamment parce qu’elles ne le pratiquent pas tous les jours (vu le temps que ça prend, tant mieux).
Et donc, dans ma pratique quotidienne, je jongle souvent entre différents comportements, parce que j’aimerais bien ne pas aggraver/générer la souffrance (c’est à dire la douleur morale) d’une femme, mais ne pas non plus banaliser la démarche si la femme qui est en face de moi souffre. C’est dur de ne pas avoir un discours unique, mais ce blog «je vais bien merci» va beaucoup m’aider, sûre.
Sinon, quand j’étais bébé-doctoresse, j’y ai eu droit, à toutes ces remarques bien nulles (et de la part du personnel médical, hein) : «avec tous les moyens de contraception qu’on a, tomber enceinte, faut l’faire» ou «faut pas non plus que ça devienne une contraception» (bon techniquement, ça ne sera jamais une contra-ception, puisque ça vient après la con-ception, justement), «ah bah voilà qu’elle chiale maintenant, fallait y penser avant d’avorter !» ou d’autres trucs aussi géniaux (!) les uns que les autres.
Mais parler de l’avortement, ne pas le cacher, ne pas en faire un truc honteux, ça aidera à changer des choses. Bravo à celles qui le font, et soutien à celles qui n’osent pas du fait des réactions des gens en face.
7 réponses sur « De l’autre côté de la canule »
Merci pour ce témoignage ! On a trop souvent tendance à oublier que le soignant est aussi un être humain.
D’ailleurs, concernant le point de vue du soignant, je recommande les bouquins de Martin Winckler, notamment « Le Choeur des femmes », qui est très intéressant 🙂
J’avorte deux fois par semaine et je me porte bien, merci ! Pas de canule pour moi, je suis sage-femme et n’ai pas le droit d’y toucher, mais de l’autre côté du bureau, je pratique les ivg médicamenteuses depuis bientôt un an.
Des ivg, j’ai prévu d’en faire depuis mes études, malgré les interrogations que cela suscite souvent vu ma profession : mi-temps avortements, mi-temps accouchements, ça en perturbe beaucoup, qui estiment que ça n’a rien à voir. Et pourtant, ce sont bien les mêmes femmes que j’ai en face, à des moments différents de leur vie. Et moi, je les aide. Parce que c’est le métier que j’ai choisi, d’aider les femmes avec leurs grossesses : celles qu’elles souhaitent éviter, celles qu’elles interrompent, celles qu’elles perdent, celles qu’elles vivent sereinement, celles qui sont compliquées. A toutes ces femmes j’apporte tant que je peux mon écoute, mon soutien, mes connaissances médicales, pour que ça se passe le mieux possible.
C’est difficile d’être juste face aux ivg, de laisser autant de place à la femme qui le vit sans accrocs qu’à celle pour qui c’est douloureux. Je n’ai pas grand chose d’autre que mon instinct pour essayer de cerner un peu l’inconnue en face de moi. Et il suffit parfois d’un seul mot pour la blesser, et d’un autre pour la soutenir. Je peaufine encore ma technique, au fur et à mesure des réactions de mes patientes, je cerne peu à peu les bonnes formulations, les bonnes phrases, pour qu’elles entendent bien que toutes mes questions ne sont pas des jugements potentiels, mais des propositions d’aide.
Je pratique des ivg par conviction, et j’en suis fière ; d’autant plus fière face à ceux qui trouvent ça malgré tout pas très glorieux, voire un peu honteux. Je crois sincèrement qu’une femme doit avoir le choix de ce qui se passe dans son corps, dans sa vie, et je le défends par ma pratique. J’assume de ne pas engueuler une femme qui fait sa 3ème ivg (le seuil fatidique du jugement « elle se foutrait pas un peu du monde elle ? »), j’assume de ne pas inciter les mineures à en parler à leurs parents, j’assume de laisser une femme repartir sans contraception après une ivg si elle me dit qu’elle n’en souhaite pas, j’assume de ne pas me soucier de l’accord du conjoint, j’assume de dire à celles qui ont besoin de l’entendre que non, une ivg, ce n’est pas grave et que ça ne bouleversera pas le reste de leur existence.
Encore bravo à ce blog, et pour citer une gynéco plus qu’engagée dans l’ivg et la contraception, qui fait circuler le lien par mail : « Un encouragement magistral pour nous autres avorteurs de choc »
J’ai eu la chance d’avoir 19 ans en 1970 et d’être étudiante: j’ai donc pu aller demander la pilule à un centre de santé pour étudiants avant les tous premiers rapports sexuels, même en étant mineure et sans que mes parents soient impliqués.
Je suis médecin et j’ai fait mes premiers remplacements en 1975 et j’ai eu la chance de pouvoir prescrire la contraception et envoyer les patientes pour une IVG dans un lieu sain (l’hôpital) où tout était fait pour que cela se passe bien et qu’il n’y ait pas de séquelles.
On nous a décrit pendant nos études des infections très graves à Clostridium perfringens suite à des avortements pratiqués avec des végétaux ou des aiguilles: j’ai eu la chance de n’avoir jamais vu un cas semblable.
J’ai pu travailler et me former au planning familial dans les années 80.
J’ai entendu des témoignages des femmes plus âgées à la ville , à la campagne.
Le premier rapport sexuel fécondant, l’obligation de se marier enceinte, les grossesses rapprochées , les avortements clandestins en Savoie , en Suisse .
Une mère de famille de 6 enfants à la campagne qui me dit avoir fait au moins 3 avortements dans les années 50 et 60.
Une mère de famille de 4 enfants nés tous à 1 an d’intervalle , à qui le pharmacien ne délivre que deux comprimés contraceptifs à la fois fin des années 60!
Une infirmière (issue de la campagne et qui a fait ses études à la force du poignet) qui raconte en l’approuvant le curetage à vif d’une mère de 3 enfants qui avait tenté d’avorter.
Ces femmes racontent que leurs conversations ne parlaient que de ça!!!
Quelles angoisses permanentes !
Relisons « voyage au bout de la nuit« que j’ai lu en tant que jeune médecin: comment exerçait-on à l’époque, comment assister impuissant à l’écoulement goute à goutte de la vie à travers le matelas d’une jeune femme qui avait avorté et qui ne pouvait en aucun aller à l’hôpital pour qu’on la sauve.Car elle et sa mère et la faiseuse d’anges auraient été guillotinées. Combien de mortes y avait-il en ce temps-là?
« Une infirmière qui raconte le curetage A VIF d’une mère de 3 enfants qui avait tenté d’avorter… »
« Comment assister impuissant à l’écoulement goutte à goutte de la vie à travers le matelas d’une jeune femme qui avait avorté et qui ne pouvait en aucun cas aller à l’hôpital pour qu’on la SAUVE.…. »
Merci pour ces phrases choc. On ne répétera jamais assez que des femmes sont mortes suite à des avortements clandestins. A l’époque, nous avons presque toutes vécu « l’écoulement de la vie » qui était notre « punition » pour avoir osé un rapport sexuel hors-mariage. C’était du moins de cette façon-là que nous le comprenions.
Et si les mots n’ont pas assez de poids, il faut essayer le choc des images. Dans un film américain, lorsque K.W. regarde, impuissante, le sang qui ruisselle le long de ses jambes parce que, quelques heures plus tôt, elle a introduit une canule dans son utérus et elle attend que « cela » sorte! C’était la vie des femmes AVANT le droit à l’avortement. Que les anti-ivg le sachent.
Merci pour ce site, merci de vos témoignages.
En 2011 pourtant, une IVG est toujours considérée de la même manière dans les campagnes. Une échographie, deux fœtus et les yeux écarquillés de tout le personnel soignant. Cette femme n’a-t-elle donc aucun cœur ? Comment avorter des jumeaux quand dans cette société certains pensent qu’une femme ayant recours à un IVG commets un acte dont elle ne se remettra jamais.
Et les sites d’aides dans tout ça ? Les « SOS bidule » et compagnie ? Sont elles partiales ces dames à l’écoute de notre détresse ?
J’ai fait mon choix.
Une femme seule ayant déjà un enfant à charge qui a décidé de pratiquer une IVG de jumeaux.
J’ai avorté il y a quelques années, et je vais très bien, merci. J’avais témoigné sur ce site, sous le même pseudo.
Aujourd’hui, me voilà de l’autre côté de la canule. J’ai 29 ans et j’ai changé totalement de vie il y a un an. D’employée administrative, je suis devenue étudiante infirmière. En arrivant dans mon école, on m’a demandé où je voulais travailler plus tard, et s’il y avait des services dans lesquels je voulais particulièrement faire des stages au cours de ma formation. Je n’en avais aucune idée. La seule chose qui m’est venue a été « je veux faire un stage en service d’orthogénie » . Malgré quelques regards étonnés, personne n’a rien trouvé à redire à mon vœu. L’enseignante – sans connaître mon histoire – m’a tout de même dit de bien réfléchir avant d’y aller, car c’est un sujet qui peut être délicat.
J’ai donc réfléchi. C’est vrai, pourquoi voulais-je faire un stage dans ce service ? Avais-je un désir morbide de revivre par procuration mon IVG à moi ? Avais-je envie de militer : « oui, c’est bien les filles, faut avorter » ? Des motivations qui ne me semblaient pas exactement saines ni professionnelles. Et puis j’ai compris : s’il y a une chose que m’a apportée ma propre IVG c’est la conscience que nous, femmes vivant en France au XXIe siècle, avons une chance folle de pouvoir interrompre une grossesse non désirée. Merci Simone et tous les autres. Et je me suis aperçue que, comme beaucoup de combats, celui-ci n’est jamais fini, il y a toujours des volontés pour remettre en cause ce droit, le limiter, l’aliéner. Et moi, future soignante, je voulais aller voir, « de l’autre côté de la canule », comment les soignants s’y prennent pour respecter ce droit, qu’est-ce qui se dit en coulisses, comment cela se vit, comment on accompagne une femme qui a poussé la porte et qui dit « voilà, je suis enceinte, c’est pas une bonne nouvelle, je veux arrêter cette grossesse ».
Alors j’y suis allée. Dans un hôpital public, parisien. Et j’ai trouvé des infirmières, des médecins, des étudiants (sage-femme, généraliste, obstétricien), une aide-soignante, une secrétaire, des psychologues… tous merveilleusement normaux. Pas de militantisme, pas de vocation « à aider ces pauvres femmes », mais, au contraire, une profonde conviction du bien-fondé du droit à l’IVG, une profonde compassion lorsque la situation est difficile pour la patiente, un humour bien dosé pour les situations délicates, une écoute, un respect, et jamais de jugement. Et puis, un ras-le-bol parfois, des conflits, des négociations, des gâteaux qu’on partage dans la salle de pause. Un service hospitalier, quoi. Avec des IVG qui se passent bien, des femmes qui partent soulagées, d’autres qui demandent à voir la psychologue, l’assistante sociale… des couples qui se déchirent, des enfants qui trinquent, des IVG qui se passent moins bien, avec des larmes, de la douleur, de la peur. Et des professionnels droits dans leurs bottes, à leur place, toujours.
Finalement, j’ai trouvé dans ce service d’orthogénie ce qui, pour moi, est ce qui devrait toujours être. Après, il y a ces femmes qui racontent qu’elles sont baladées d’hôpital en hôpital depuis 2 semaines, où on leur dit qu’à 12 semaines d’aménorrhée c’est trop tard (la limite légale est à 14 semaines), où on fait traîner leur dossier jusqu’à arriver proche de cette fameuse limite…
Je sais que ce n’est pas rose partout et qu’il faut continuer à se battre. Je sais qu’avorter est rarement (jamais ?) anodin. Mais je suis sortie de ce stage forte de cette conviction : ici, il est possible de dire « j’ai avorté et je vais bien, merci ». Et maintenant, je vais pouvoir me tourner, sereine, vers ma future carrière d’infirmière, et peut-être aiderai-je des femmes à avoir un enfant, peut-être aiderai-je à soigner des cancers, peut-être serai-je infirmière en psychiatrie… mais je suis heureuse, aujourd’hui, d’avoir pris une certaine mesure de l’application — « sur le terrain » — de ce droit à avorter.
Merci.